La pizza d'un 28 novembre




À observer mon repas de mardi dernier pour un souper solo, vous vous dites sans doute qu'il n'y a rien de trop excitant à cette pizza aux champignons et à laquelle j'ajoutai de la roquette que j'avais congelée pour ne pas la perdre (j'ai horreur du gaspillage), ou à ce vin rouge à trois dollars (Rose and Finch) de mon épicerie préférée dans une mini coupe héritée de ma grand-mère. Détrompez-vous. C'était succulent. Tout comme le ciel me semblait plus magnifique, avec un coucher de soleil comme j'en ai rarement vu. Ce soupçon d'euphorie qui nous fait nous sentir la tête légère perdura au moins jusqu'au lendemain. En prenant ma marche, je ressentais le monde autour de moi de façon plus vivide. Même le bruit d'un souffleur de feuilles ne me dérangeait pas (ce qui ne m'est jamais arrivé auparavant... ce genre d'engins est un des plus insupportables jamais inventés).

Qu'est-ce qui a donc levé ce voile devant ma perspective ? Deux mots prononcés devant une juge. Une affirmation. La traduction anglaise du "oui, je le veux" dans les films. Sauf que ce n'était pas un mariage qui me mettait dans cette transe. Plutôt le contraire: un démariage. Et donc, démarrage: de ma liberté renouvelée, de ma créativité retrouvée, de la réappropriation de mon pouvoir, et surtout, de cette paix intérieure...



Ce 28 novembre fut donc très mémorable, à la conclusion d'une journée interminable et pénible à la cour. Je célébrai la fin d'un processus surréel, aberrant et traumatique qui dura plus de deux ans et demi. Tout n'est pas terminé, mais au moins c'est une étape de franchie car je suis enfin débarquée de ce leurre épique qui trop souvent et pour une grande proportion n'a malheureusement rien à voir avec l'amour, cette dynamique transactionnelle et oppressive entre deux êtres inconscients ou qui ignorent leurs blessures, cette institution influencée par des conditionnements genrés néfastes et qui, je l'ai réalisé beaucoup trop tard, était encore patriarcale. Certains croient qu'il est possible de vivre une union dans ce cadre et qui soit nourrissante, saine, mais les années m'auront appris que c'est l'exception plutôt que la règle. Un chapitre se terminant après 15 ans ne fit que confirmer que la vie n'est qu'impermanence, et que s'il y a une "constante" au cours de notre existence, c'est bien celle du changement... Alors autant faire du surf sur cette vague que d'essayer d'y résister ou de la vaincre... Avec ma vie qui changea, je changeai aussi. Je suis en train de vivre une transformation qui me fait sortir de moi-même. Et je devrais ainsi célébrer avec gratitude chaque minute qui me fait entrevoir l'élargissement de mes horizons maintenant que je comprends mieux que notre bonheur ne repose bien que sur nos seules épaules, et qu'être heureux en couple veut simplement dire être d'abord heureux avec soi en présence d'un être "co-heureux" avec qui on vibre à la même fréquence. Et ce parcours peut durer un an, dix ans ou toute une vie, et la durée de la relation n'a pas de corrélation avec la valeur ou profondeur de ce chevauchement des âmes. Ce qui compte, c'est à quelle profondeur nous décidons d'aller pour explorer les fonds de la connaissance de soi.



Dans les tous débuts, alors que je tentais de reconstruire ma vie en entier, en apprenant ma séparation, même des inconnus me gratifiaient avec sincérité en disant "félicitations" (le vendeur de matelas, une personne à mon travail etc). J'étais agréablement surprise de voir que ce concept (et dont le mot pour le désigner et qui commence par D avait une saveur très taboue, non seulement à cause de mon enfance mais en raison du fait que mon ex l'avait militarisé pour l'utiliser comme forme de menace dans des moments de désaccord marital) n'était plus du tout vu aussi négativement ou comme un événement de vie dont il faudrait avoir honte.

Dans les minutes, heures et jours qui suivirent, les messages de support, de soulagement affluèrent, et aussi la question "comment te sens-tu ?" Franchement, à part une perception plus élargie et englobante de mon univers, pas très différente de quand je m'étais levée le matin même. Autrement dit, ce n'est pas comme si je me voyais différemment comme personne, plus ou moins ceci ou cela. Je n'ai pas besoin d'une juge, de la permission de quiconque ou d'un bout de papier pour être libre de mes sentiments, choix et pour être entièrement moi-même. Mon nom est toujours resté mon "nom de jeune fille". Je ne fus (et ne serai) jamais "Madame P." Donc, ma représentation de moi-même n'est pas trop ébranlée. Je continue simplement sur cette voie que j'avais commencé à emprunter bien des mois plus tôt. Un retour à mes passions, à ma confiance en moi, à ma créativité et à ma féminité divine.

Il y a eu bien sûr des émotions intenses, surtout de la tristesse, voire une certaine culpabilité envers mes trois fils, pour qui j'ai fait l'impossible afin de repousser l'inévitable. Mais je ne peux qu'être une meilleure mère qu'en étant d'abord un être plus épanoui, lumineux, libre et en paix. Et cette paix grandit alors que je profite de mon espace à La Maison des Enchantements, et un premier feu dans le foyer de la cuisine hier, avec musique, chandelles et la présence de Ken qui fut l'un de ceux qui démontrèrent un support intarissable. J'ai été épaulée et consolée par des gens précieux alors qu'un gros morceau de mon temps, mon compte bancaire et mes énergies était alloué depuis deux ans à une audience de révision aux 6-8 semaines, des courriels à mon avocate, trois déménagements, trop de nuits sans sommeil, des papiers épars qui jonchaient la table à dîner, et de longs moments de torpeur silencieuse à regarder dans le vide.

Je suis reconnaissante de terminer l'année mieux que je ne l'avais commencée. Le plus grand gain restera je crois pour moi le fait d'être devenue plus réveillée, plus consciente par rapport à la condition humaine. Je dois sans doute cette plus grande réceptivité aux enseignements parfois arides de la vie à une pratique de méditation plus régulière, des mini-retraites de silence, les pauses pour reconnecter avec mes sens et une gratitude intérieure, l'exercice physique, le temps passé à m'installer dans un chez-moi qui me ressemble et le support d'innombrables personnes comme mon compagnon, ma famille, mes ami(e)s. Peu à peu, je me reconstruis, comme un kintsugi. J'ai des cicatrices partout sur l'âme mais elles se recouvrent graduellement d'une couche protrectrice dorée. Et cet or s'appelle "leçons de vie".




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