Les enchantements du processus de création artistique par le dessin

 




J'avais hâte à mon samedi, car il était rempli de merveilles, à commencer par la partie de soccer de Kristof, suivi par l'enregistement d'un épisode pour le podcast The Dandelion Reflections (avec un super invité: mon sublime cousin Gabriel !) et ensuite une séance d'esquisses urbaines guidée par Stan, un dessinateur époustouflant que j'ai rencontré à ma récente exposition d'art deux semaines plus tôt. J'avais été tout de suite éblouie par ses oeuvres dans de multiples carnets, et même sur des enveloppes qui aboutissent dan le contenant de recyclage pour la plupart des gens. Comme passe-temps, Stan m'expliqua alors qu'il s'installe tout simplement dans un endroit public et fait son ''urban sketching'' au stylo noir. Il ajoute parfois de l'aquarelle. Je lui demandai s'il donnait des leçons et il me dit non, mais il m'invita aussitôt à me joindre à lui à Town Center (à 11 minutes de chez moi) pour me pratiquer et apprendre de sa technique.

Ma semaine avait été assez stressante et je ne fus plus du tout certaine d'être en mesure de me connecter à ma créativité. J'arrivai 45 min plus tard en raison du podcast. Stan parlait à l'autre personne à qui il avait donné rendez-vous. Il donna des conseils, partagea des concepts que je ne connaissais pas, genre ''thumbnails'' (vignettes). Il expliqua qu'il était important d'en faire et de ne pas se soucier des détails mais des formes. Cela fait du sens pour moi, qui ai graduellement, et intuitivement, pris l'habitude de faire des prototypes ou ''études'', comme la carte de souhaits pour mon ami Jerry que j'aimerais bien reproduire sur un grand tableau. Mais pas nécessairement du 2 pouces par 2 pouces. Ensuite, Stan suggéra de créer une composition qui, pour être optimale, doit inclure des formes larges, des moyennes plus des petites. Il donna différents exemples. ''Pourquoi on ne nous enseigne pas cela durant les cours d'arts plastiques ?'' Il dit que si, mais selon moi, pas dans les cours que j'ai suivis à l'école en tout cas. Pas même au CEGEP (d'ailleurs, j'avais eu une note médiocre dans la classe d'arts, ce qui avait vraiment désastreusement affecté ma cote Z pour le semestre et donc mes chances d'être acceptée en médecine, et surtout cela m'avait découragée de faire de la peinture. Je pense que mes couleurs trop vives n'étaient pas du goût de la prof avec ses couleurs pastels trop diluées).

Il nous invita à choisir un bâtiment et en faire le contour avec une ligne unique. Ou la technique 95-5 (qui consiste à ne regarder la feuille sur laquelle on dessine que 5 % du temps). Autant me demander de peindre ma version de la Chapelle Sixtine. Je sentis l'angoisse m'engourdir. Cela avait l'air si facile quand il le faisait. J'aimais le jaune du bâtiment (restaurant), le ciel bleu et les parasols rouges. Comme s'il lisait dans mes pensées, il mentionna que des gens préféraient dessiner à partir d'une photo (ce qui est mon cas), mais pour une raison vague il suggérait de ne pas passer par cela. Je pris quand même une photo, pour plus tard. Je compris alors qu'une photo est moins intimidante que la scène, la personne ou autre merveille grandeur réelle. J'observai aussi qu'il était sans doute préférable de prendre la laideur comme sujet, genre un tas de déchets, comme ça le dessin ne peut que le rendre beau ! Alors que la beauté risque d'être sabotée ou de ne jamais être rendue de façon fidèle par une main inexpérimentée...



L'indessinable campanile de Town Center, à El Dorado Hills.


Il était d'accord sur l'importance d'être prêt à dessiner même le plus banal. Je tentai quand même de faire comme lui, tout en trouvant ma façon, mais le problème avec la ligne unique (dessiner sans lever le crayon), c'est qu'il y a trop de choix: ensuite je vais dans quelle direction, les tuiles du toit ou la fenêtre ? La girouette ou les piliers de pierres ? J'eus l'impression qu'être architecte était un avantage. D'autres phrases non aidantes surgirent dans ma tête. Je me souvins des exclamations d'admiration entendues tout au long de ma vie, y compris venant des mes enfants, avec qui j'ai toujours adoré faire du dessin, car le dessin est l'activité que je fais depuis le plus longtemps. C'est comme le fil conducteur de ma vie.

Et samedi, je sentais que je perdais le fil, justement... Je ne me sentais pas du tout connectée à mon processus. Et en regardant les splendides vignettes de Stan, ce n'était pas tant le résultat que j'enviais (chacun a son style) que l'évidence de la canalisation du divin qu'il parvenait à accomplir par l'art. Et c'est cela que je tentais d'accomplir: être un véhicule d'inspiration spirituelle, et par mes mains, mes yeux et autres sense, traduire le message divin. Oui, je voulais être une incarnation du divin, moi aussi !

Je fis quelques tentatives et je les abandonnai toutes. Comme une enfant maussade, je cachais mes gribouillis. Rien ne coulait. En voyant Stan à l'oeuvre, j'ai pu bénéficier d'un effet miroir en constatant pourquoi ça marche quand ça marche et comment je dois approcher chaque dessin ou peinture:

-Il est plus facile pour moi de dessiner lorsque je suis complètement seule, sans pression que je me crée parce que j'ai des spectateurs ou gens qui observent. La pression de performance tue la magie en m'inhibant.

-La méthode photo fonctionne mieux (sans doute parce que j'ai moins de pression, je fais le dessin dans la solitude et sans observation ou activité distrayante autour). Cette méthode asynchrone offre plus de flexibilité.

-Je dois me rappeler d'être méthodique, et pleinement consciente, c'est-à-dire être dans le moment du traçage de chaque trait, chaque forme, chaque section, sans être trop anticipatoire pour les prochaines étapes.

-Et en étant méthodique, je dois aussi me parler à moi-même (dans ma tête), énonçant la tâche à accomplir, ou ce que je cherche à rendre. Parler m'aide à rester concentrée.

Bref, même si je n'étais satisfaite du tout de mes débuts d'esquisse, je suis repartie avec une compréhension approfondie du pourquoi j'arrive parfois à rendre ce que je cherche à rendre par le dessin. C'est déjà cela de gagné.

Et hier matin, dans la solitude de mon patio ensoleillé, je me suis laissée porter par mon inspiration, cette magie qu'on ne peut ni ne doit jamais forcer. La créativité est un phénomène délicat. J'y suis allée avec mes inspirations spontanées, comme de voir mon ombre contre une lumière le vendredi soir en marchant à la maison. J'avais essayé de prendre une photo mentale de ma silhouette. Ensuite, je me suis amusée à reproduire une version d'un étiquette de bouteille de vin. J'ai réalisé que le calme, la solitude, le silence et la certitude que j'ai tout le temps devant moi sont des matériels d'art aussi importants qu'un bon crayon, du papier, ou un talentueux instructeur.

En pleine syncronicité, tombant sur le mot ''thumbnail'' deux jours plus tard alors que j'apprends à créer une chaîne Youtube, je réalise aussi que ma paralysie ou complexe de la feuille blanche tend à se dissoudre quand le dessin n'est pas une fin en soi mais a un but, comme de créer un filigrane (autre mot appris: ''watermark'') représentatif de mes ''monologues du pissenlit''. Et mon côté cartooniste se délecte de la récompense de pouvoir colorier après le traçage :)

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