Ces choses qui prennent du temps

Intérieur d'une apaisante boutique à Amador City.


Une vie en serre-livres ?

Les serre-livres sont fixes, on les contrôle pas vraiment.

Ni d'ailleurs ce qu'il y a entre les deux: la vie entière, ou le jour, chaque jour... Un après l'autre, à la suite de l'autre... Vraiment ? la suite, comme un chapelet ?

Cela prend du temps. Plein de choses prennent du temps.

Penser au prochain repas. Trouver les ingrédients. Tout mettre ensemble. Servir. Du temps.

Remplir les dispensateurs de savon liquide pour mains, encore du temps.

Attendre que l'encre d'un stylo qui écrit trop bien sèche dans la carte avant de la refermer pour l'insérer dans une enveloppe, du temps.

Balayer les feuilles d'automne pour remplir le conteneur à compostage, du temps. De l'énorme temps. Pour se rendre compte qu'il nous manque une boucle d'oreille, qui est sans doute tombée lors du balayage intempestif... Se demander si on doit vider le conteneur et inspecter chaque poignée de feuilles en l'étalant, se demander avec agonie si on a le temps prend souvent beaucoup de temps ! Parce qu'on l'aime bien cette boucle d'oreille turquoise, une fois auparavant (au moins) perdue et miraculeusement retrouvée sur un tapis fraîchement nettoyé avant un déménagement (autre phénomène qui prend tellement de temps...). Jouer à cache-cache avec une aiguille dans une botte de foin, oui, cela doit prendre une tonne de temps...

La tristesse diffuse du deuil blanc, ambigu, prend beaucoup de temps. Elle fragmente les jours. Chercher à la mettre en mots, vainement, pour ceux que cette douleur épargne, prend parfois tout notre temps. 

Puis, on s'appuie sur l'anodin, le mécanique qui devient l'essentiel qui empêche de sombrer complètement... Comme le matin, brossage de dents, prière... le soir, re-prière, rebrossage des dents... comme des parenthèses pour s'assurer d'une parole saine dans une bouche saine...

Prière, hygiène corporelle, un peu la même chose...

Pour se donner une illusion de contrôle. L'attitude. Comment on aborde sa journée, comment on la finit. C'est un choix.

C'est drôle: naissance et mort. Aussi en serre-livres, contre cette longue trame de vie faite du passé-présent-futur, phases de temps toutes mélangées apparemment, selon la physique quantique... Et quand on est vraiment dans le moment, comme quand on se brosse VRAIMENT les dents, ou qu'on prie avec intention, même en faisant cuire, la joie dans le coeur, un oignon qui nous fit larmoyer le moment d'avant, ne faisant rien que cela, on peut la sentir, la vivre comme une ''fraction de seconde'', cette vérité.


Les appuie-livres donc, qui déterminent tout, en coinçant l'ADN non codant de l'existence, cette vie essentiellement faite d'illusions composées par l'ego (ça-même l'illusion suprême), principalement celle que nous sommes faits de matière alors qu'encore là, c'est une infime fraction de pourcentage de ce que nous sommes, car ce que nous sommes principalement, c'est de la CONSCIENCE, ou ''awareness''. Le sentez-vous, que tous vos rôles, attributs, croyances, possessions, et autres jouets pour l'ego, cela n'est rien en comparaison avec cette conscience que vous êtes, purement et simplement, comme le reste de l'humanité ? Le constatez-vous quand, après avoir presque tout perdu ou abadonné, vous restez cette inaltérable, lumineuse conscience ?

Cela doit être cela que tout mon être perçoit, quand je suis aux côtés d'une personne chère et que plus rien ne compte. Cela doit être cela que mon âme respire quand je vis chaque moment comme si c'était le dernier, car vraiment, tout ce qui compte, c'est justement ce moment ? Dans tout sa plénitude faite d'éternité ? Et ce que l'on se donne à soi, ou à une personne à la fois, c'est à l'humanité toute entière que nous donnons. Même aux gens loins, que nos yeux de corps physique ne peuvent percevoir pour l'instant.

Mais où se trouvent les refuges hors du temps ? Dans la joie, les rêves et l'amour. Dans ce que la vie nous offre en chemin et que nous acceptons avec bonheur de cueillir et de savourer. Même si cela veut dire ne pas savoir ce qui ressortira d'un tri de feuilles mortes pour retrouver un objet minuscule. En faisant tout avec curiosité, gratitude et acceptation, on oublie cette création souvent tyrannique appelée temps, et on reconnecte avec la pleine conscience enchanteresse qui fait de la vie un miracle, surtout l'instant de libération divine où on se rend compte que notre histoire de vie n'est pas tant coincée dans la linéarité d'un chapelet opaque qu'un amas de billes colorées et iridescentes, avec centre aux formes dansantes d'yeux de chat.





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