Les arts perdus (et retrouvés)

Un déménagement (ce mois-ci, il s'agissait de mon quatorzième) cause sans contredit des perturbations et interférences avec la routine quotidienne, que ce soit par l'incommensurabilité de la tâche ou par l'angoisse de ne plus arriver à trouver tel ou tel item séquestré dans une boîte au beau milieu d'objets disparates. C'est un stress d'une telle envergure pour la plupart des gens que j'ai décidé d'écrire un essai (1) sur le sujet l'an dernier, alors que je me remettais d'un récent déménagement (#13) et de l'opération emballage-déballage de toute une vie... 

Une telle étape met souvent à l'épreuve nos capacités d'adaptation et notre flexibilité. Je crois que l'expérience m'a bien appris à lâcher prise sur cette règle tyrannique si répandue voulant qu'il n'y ait qu'une vraie, valable ou "bonne" façon de faire. Se rire des conventions et se demander ce qui est aligné à soi ouvre tant de portes et permet de retrouver ces arts que notre civilisation semble avoir abandonnés trop tôt au profit d'un consumérisme dévastateur et d'une technologie qui s'étend à une vitesse effarante.

Heureusement, la sérénité qui embaume La Maison des Enchantements est propice à de telles retrouvailles.

Quels sont les arts que vous croyez perdus ? Avez-vous un désir ou une façon de les réanimer, les réclamer ?

J'aimerais vous partager un échantillon des miens:




L'art perdu d'écrire ses réflexions dans un journal. Mon art jamais abandonné de toujours avoir sur moi un carnet pour y inscrire au moins quelques observations chaque jour.

L'art perdu d'écrire des lettres sur du papier avec un stylo, et mon art retrouvé de m'émerveiller dans la chambre d'hotel  à Winters car la tablette à écrire rappelle mon utilisation fréquente de papier à lettres dans ma jeunesse.

L'art perdu d'envoyer des cartes postales. 

Mon art retrouvé d'aller à la boîte aux lettres avec un parasol quand le soleil est brûlant (je n'en avais pas, j'ai donc utilisé un parapluie pour aller poster des cartes postales à mes trois amours tout-à-l'heure, à 37 degrés Celsius).

L'art perdu de modifier au lieu de jeter ou remplacer. L'art retrouvé de recouvrir de mactac les tablettes d'armoire de la cuisine.




L'art perdu de voir l'abondance dans le rien. Mon art en plein essor d'improviser un repas avec les ingrédients qui restent dans une combinaison aussi délicieuse qu'implausible.

L'art perdu de redonner une vie à l'antique, au désuet. Mon art retrouvé d'adopter des chaises laissées en bordure de la rue ou de renouer avec des sandales oubliées.

L'art perdu d'écrire des messages à la craie sur une ardoise. Mon art retrouvé de m'amuser en exprimant mon esprit d'écolière et hospitalier.

L'art perdu de voir ce dont nous avons besoin sous les yeux et d'en honorer la durabilité.

Mon art retrouvé d'utiliser le marteau fait par Ovilda, le père de ma grand-mère Idéa Vallée Giroux. 


L'art perdu de laisser parler le divin en nous en dansant. Mon art retrouvé de me laisser guider par la musique.

L'art perdu de voir l'aspect méditatif des corvées. Mon art fraîchement découvert en ma hâte quotidienne de retirer les feuilles qui flottent sur ma piscine avec ce tamis géant car il me permet de pratiquer la grâce et l'élégance du tai chi.

L'art perdu de prendre une pause entre deux activités. Mon art retrouvé d'immobilité et de silence.

L'art perdu de se sentir en vacances chez soi. Mon art retrouvé de m'imaginer en une autre époque, un autre lieu alors que je m'assois chaque soir devant le spectacle du jour déclinant.

L'art perdu de se souvenir. Mon art bien vivant de me rappeler et d'écrire les paroles pleine d'humour et de grande vérité de mes fils proférées depuis leur plus jeune âge.

L'art perdu de se prendre la main. Notre art retrouvé de laisser nos regards, nos rires, nos corps et nos âmes se rejoindre, avant que le vent n'ait dispersé nos rêves à la craie en poudre étoilée dans l'ardoise de la nuit...





Autre lecture suggérée:

1. Giroux, C. Packing Boxes, Unpacking Life. Sierra Sacramento Valley Medicine Magazine, September-October 2022

2022 - Sep/Oct - SSV Medicine by Sierra Sacramento Valley Medical Society - Issuu

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