Une vie épistolaire


Tenir un journal, c'est écrire une longue lettre à une version vieillissante et nostalgique de soi. Cette lettre nous part des mains mais nous revient dans les moments les plus inattendus. Il y a quelque chose de divin à tenir un recueil de nos moindres faits et intimes pensées. D'ailleurs, ma dédication à l'écriture depuis toujours est comme une longue missive addressée à la vie. J'ai déjà eu le béguin pour un gars qui n'était pas disponible et je lui parlais donc par le biais d'un cahier. Après ma séparation, j'ai tenu un journal à La Maison Jaune, lieu idyllique oû j'avais imaginé vivre comme dans le sud de la France (sans doute parce que j'essayais de mettre en acte une version de la délicieuse lecture Une Année en Provence, en quelque sorte). En préparant la fête de mes fils ce mois-ci, j'ai eu l'idée d'ajouter une portion lettre dans leur carte. Pour Andreas, j'ai photocopié ce que j'avais écrit durant les jours précédents et suivants sa naissance. Le journal m'avait été offert pour mon anniversaire par mon amie Renée, sans doute la personne qui m'a offert le plus de douceurs de papier car elle sait ce fil conducteur de ma vie, cette passion pour l'écriture et que nous partageons. J'avais été immédiatement séduite par l'espace disponible pour chaque journée d'une année bien spéciale, celle qui allait être témoin de l'arrivée de mon deuxième fils. J'ai donc décidé qu'il pourrait être intéressant pour lui de revisiter  un jour ce compte-rendu quotidien de ce qui avait meublé nos vies, d'être sa mémoire écrite auxiliaire, en quelque sorte: romans dévorés, films regardés, rires échangés, repas préparés, phrases murmurées. 

Et moi qui avais arrêté de lire au cours des dernières semaines, j'ai décidé de faire de ce journal un brin de lecture vespéral. Je redécouvre avec émotions des expériences pronfondes et difficiles à contenir dans des mots, de sorte qu'elles me transportent dans ce qui semble être une autre vie, celle de l'innoncence de Youri, et de notre existence au Minnesota, dans une maison blanc sale datant de 1938, et dont le buisson de pivoines me manque. J'y notais les émotions de mon enfant juxtaposées aux miennes, dans un touchant dialogue d'amour, celui d'une mère qui cherche à lire, décoder, contenir et guider son enfant. J'y inscrivais aussi ce que j'observais lors de la pleine lune (que ce soit la température, oû l'humeur plus difficile des jeunes et moins jeunes), autant que ce que mon mari trop cérébral et sceptique avait à redire de mes théories basées sur des corrélations maintes fois observées.

Je relis donc ce courrier de moi à moi, puis de cette jeune et rêveuse moi à mes fils un jour. Je relis cette moi affamée, obsédée par la nourriture et le sommeil, avec une compassion renouvelée. Je fais de nouveaux liens que je n'avais pas pu faire à ce moment, comme un aigle survolant un paysage passé mais encore vivant, et qui grâce à une vue d'ensemble, arrive à comprendre comment toute cette vie-là s'est orchestrée.

Il y a quelque chose de validant aussi à noter des signes précurseurs que j'avais jugé pertinent de relever et qui se sont avérés des patterns ou encore plus profondément significatifs, comme le sapin de Noël qui s'affala au sol en fracassant le seul ornement cassable, soit une boule qui disait JOY, pendant que je conversais avec mon mari. À l'époque, j'en avais déduit la fin des Noëls comme ceux de mon enfance, puisque le lendemain, ma grand-maman rendait l'âme. Mais quatorze ans plus tard, divorcée, extirpée d'une existence oû mes bonheurs passaient au tordeur, mes joies devaient être atténuées au risque de se faire crucifiers, mes idées étaient contraintes de faire la file vers un camp de concentration qui était la prison mentale du père de mes enfants, j'ajoute une nouvelle dimension à mon interprétation. La boule cassée n'était pas le signe que d'une fin, de la fin de la magie des fêtes d'hiver... Sans m'en douter, il y avait comme une chaîne profonde et invisible qui, avec un long délai, allait se briser avec le départ de ma grand-mère. Cela rend triste et en même temps permet à des deuils de tomber en place. Cette compréhension ajoute une cohésion qui au final nous donne la permission de faire un grand pas en avant.

J'ai maintenant hâte de faire d'autres découvertes entre les lignes et de passer quelques minutes chaque soir avec ce courrier spécial qui a traversé le temps et qui a atteint sa maturité, comme un bon vin à déguster par mon esprit. Réalisant la valeur sentimentale inouïe d'une telle régularité et discipline de vie amoureusement intentionnée sur papier, je décide de reprendre cette habitude dès ce soir. Je suis allée dans ma garde-robe et j'ai fouillé dans la boîte oû une vingtaine de carnets (offerts par Renée, mon amie Annie, ma soeur, mon chum...) et j'en ai choisi un significatif car il représente un de mes livres favoris et que j'ai lu le plus souvent comme enfant puis adulte, que j'ai lu à mes enfants, et qui me fait penser à mes trois petits princes justement:




Si mon souvenir est exact, c'est Annie, mon amie de résidence, qui me l'a offert car elle me connaît bien et, à l'instar d'autres qui voient ma vérité, m'a toujours encouragée à écrire. J'aime bien son épaisseur, la douceur des pages lignées, et les pochettes rouges pour inclure photos et qui en même temps séparent des regroupements de pages.

Après tout, il me faut bien prévoir un ample choix de lecture pour quand je serai à ma retraite... En attendant, j'ai hâte d'écrire ce courrier du coeur, en laissant parler mon âme contenue dans un tricot de lettres attachées, et en français, question d'offrir un défi double à mes fils un jour, eux qui ont toujours aimé les énigmes et chasses au trésor. Mais ce que j'écrirai au fond, ils le sauront sans doute déjà, car leur beau coeur est celui du petit prince envers la délicatesse de sa rose.

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