Ma vie intérieure




Quand j'étais petite, je n'étais pas trop friande du jouer dehors. Pour moi, cela revenait souvent à dire qu'il fallait se lancer le ballon parmi d'autres enfants bruyants, ou aller au parc et risquer de se casser la figure. N'étant pas d'un naturel aventureux sur le plan physique, et préférant la compagnie de mes poupées livres et crayons de couleur, je trouvais plus facilement réconfort à l'intérieur de la maison, et surtout, de ma chambre vieux rose au sous-sol. Mais quand il était question de se balancer ou se baigner chez qui voulait bien nous inviter, je pouvais passer des heures entières à l'extérieur. 

De longues années d'études assidues m'auront saturée au point où maintenant je fais tout pour être dehors: je prends ma marche le matin, je déjeûne et écris dans mon journal sous le soleil, je dîne et soupe dehors et nage dans ma piscine matin, midi ou soir. Dans ce décor extérieur, fuyant la routine qu'impose le dedans d'une maison, comme drainer à la main un lave-vaisselle que je n'ai pas les moyens de faire réparer, trier des papiers de mon divorce traumatique, organiser mon matériel d'art, je sens que j'habite encore plus ma vie intérieure. Le vol d'oiseaux au-dessus de ma tête, la contemplation du jour déclinant, le bruit de mon carrillon m'invitent à de plus profondes réflexions et une expansion de mes questionnements.

Une vie examinée est la seule qui vaille la peine d'être vécue, disait Socrate. Examiner ma vie, ce qui la meuble et ma façon d'approcher les choses est depuis toujours mon par-défaut. 

Je prends ce que la vie m'envoie, je fais avec. Récemment, ma vie intérieure fut visitée par des projets rafraîchissants et captivants que j'apprivoisais pour la première fois, comme rencontrer une recherchiste pour un documentaire, et l'écriture d'un avant-propos pour le livre d'un ami. Entre de telles occasions extraordinaires se faufile le relativement ordinaire d'une carte peinte à la dernière minute avec ''une note de gratitude'' pour un collègue qui prend sa retraite et compte se consacrer à la musique, ou un souper en semaine pour célébrer l'anniversaire charnière de ma bonne copine.

Ma vie intérieure trouve des labyrinthes pour se distraire et fuir l'attente. Il n'y a pas de limites aux profondeurs d'une vie intérieure. Elle est active de nuit comme de jour, m'envoyant des rêves que j'ai toujours tant de bonheur à écrire et décoder. Elle aime le calme multidimensionnel aussi, et s'en nourrit comme son oxygène. Sa solitude, son silence, son espace et son immobilité (ce que j'appelle les 4 S, en anglais: solitude, silence, space and stillness) sont nécessaires à la plénitude de son expérience. C'est le rien qui débouche sur le Tout, c'est le vide qui remplit, qui se rit de celui du ryhtme effrené du monde matérialiste essayant de nous convaincre qu'il nous manque toujours quelque chose pour être comblé. Quand je suis dans ma vie intérieure, le mental n'a plus autant d'emprise, le mental avec sa guerre contre les factures, tentant de les faire entrer de force dans le chèque de paie dont le chiffre ne veut plus rien dire, mais quelle bataille perdue d'avance... Au tout début de mon divorce, j'étais dans un certain degré de déni, n'imaginant pas que le processus serait si long et coûteux. Mais le bris de ce contrat de mariage, le contrat le plus sérieux car il abolit tant de libertés (mais que pourtant la plupart d'entre nous ne signons pas en pleine connaissance de cause alors que nous en ignorons les clauses et les conséquences en cas de bris), c'est comme du sable mouvant et il est difficile de s'en sortir indemne. On sait quand cela commence, mais surtout pas quand ni comment cela se termine...

Bref, la vie intérieure, elle, ne coûte rien. Elle m'aide à me reconstruire, une émotion guérie à la fois.

La question du ''dans quel resto souper'' ne se pose même pas, je dois me résoudre à un gel complet de dépenses non nécessaires, ce que je me rends compte que j'aurais dû faire il y a 3 ans. Parfois, la vie intérieure, elle préfère un pseudo-souper fait de fromage au thym, cornichons, figues du figuier de mon amie Pauline, olives et amandes.

Et en rangeant ma boîte de paperasses maudites dans mon garage, je découvris de mini céramiques bleues, restants de piscine, et qui me donne une idée de projet...

L'embellissement abordable de notre milieu de vie ne peut que réconforter la vie intérieure qui flotte dedans. Pour citer mon amie Julie avec qui j'eus le plaisir de parler avant-hier, ''on est tellement bien chez nous quand on est bien chez nous''.





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