Feu mon oncle




Vendredi... généralement, ces temps-ci, le vendredi, au portail de la fin de semaine, ce répit d'à peine 48 heures que l'on anticipe d'avance en remplissant d'une tonne de fantasmes inatteignables, est ma journée la plus chargée. Déjà à bout de souffle rendue au matin, devant me préparer à voir 8-9 patients (dont 3-4 nouvelles évaluations), huit ou neuf champs énergétiques qui se cognent au mien ou l'amplifient, arrivée au souper, les cordes vocales endolories, éteintes, mes ambitions même de self-care viennent de prendre une légendaire débarque. Je pense alors juste à l'étreinte de mon lit, si je peux encore puiser en moi la force de le défaire...

Ajoutez à cela la déprime d'hiver, si vous y êtes prédisposés... plus la grisaille du temps (je ne compte plus les jours consécutifs de brouillard dense chez nous... cela fait au moins 14 jours, et selon ChatGPT, le record date d'il y a 40 ans, soit 17 jours...), c'est pas joyeux comme combo !!

Mon étudiante était aussi plutôt taciturne. Donc, je me laissai porter par l'inspiration du moment pour meubler la soirée. Il faisait froid... Et si on faisait un bon feu ? Justement, mon voisin Tony (le gars derrière le concept de l'arbre de Noël à mini bouteilles de vodka vides) m'a donné du bois de chauffage l'autre jour, après m'avoir aperçue ramasser une branche lors d'une marche.

J'éprouve toujours une indicible satisfaction chaque fois que j'arrive à allumer un feu. J'ai comme appris cette méthode de survie par intuition. Ce n'est pas une technique parfaite, mais je pense qu'il y a aussi du métaphysique en jeu pour m'aider... Ma première tentative me coûta 4-5 allumettes qui, soit s'éteignaient avant d'avoir embrassé le papier journal en roses froissées ici et là, coincées entre les mini branches et plus moyennes bûches, soit arrivaient à allumer un papier qui s'embrasa aussitôt de façon frustrante sans même en toucher le bois. J'ai bien failli laissé tomber, surprise de ma résignation, mon acceptation tranquille. Néanmoins, je réessayai, tout en constatant un intéressant parallèle avec une grossesse: cela n'arrive pas tant parce que les éléments créent une réaction dans une rencontre (spermato et ovule; flamme et matière inflammable), mais bien parce qu'il y a un désir (d'amour, de vie... ou de réchauffer une maisonnée). J'ai donc décidé de faire confiance au processus, avec l'attitude ''que sera, sera !''






Et j'ai eu le beau résultat que vous voyez. Bibi et moi nous installâmes donc chacune dans un coin, à lire, dessiner, méditer. Pour ma part, j'achevai la lecture de The Bell Jar (La Cloche de Détresse) de Sylvia Plath. Oui, le contenu, quoique criant le talent d'une étoile filante, est déprimant. Mais je fus en mesure de recentrer mon attention sur toute l'expérience sensorielle, de type hygge, des flammes dansant dans le foyer. Leurs doux crépitements, si doux qu'ils étaient comme un murmure, une invitation à la méditation. La chaleur reçue par mes paumes nues, mon visage fatigué mais sur lequel commençait à s'installer une douce paix, si bienfaitrice et belle que je voulais la partager à mes enfants chers. Rien n'était souhaité plus profondément par mon âme en cet instant que de les savoir réconfortés par un bon feu s'éclatant paisiblement devant leur regard. Et en alimentant les flammes s'amenuisant par des billots, je repensai à mon oncle Denis, chez qui je passai tant de soirs d'hiver, avec ma tante, Andrée, et avec qui je prenais tant de plaisir à être moi, alors que j'étais dans la vingtaine. C'est-à-dire, en bricolant, cuisinant, jasant, purgeant mes vagues à l'âme. Leur demeure était devenue comme un refuge pour mon coeur en émoi ou en crise existentielle. Plus tard, mon fils Youri (''on sent d'la chaleur'', disait-il), a eu la chance de s'imbiber aussi de cette affectueuse énergie lors de certains Noëls passés au Québec dans ma famille. Et c'est ici, à Cameron Park, en Califormie, près de trois décennies plus tard, que je comprends tout l'amour qui peut être contenu dans le fait de faire un feu pour quelqu'un, tout comme je sais l'amour qui est véhiculé dans la préparation d'un repas.

C'est avec cette gratitude que j'accueillis mon vendredi soir, et à qui je restituai le titre de ''mon moment préféré dans toute ma semaine''. C'est dans cet état d'esprit aussi qu'un poème se forma dans mon coeur:


Le feu, un soir de décembre

Comme une grossesse que l'on n'espérait plus

Qui se décide, d'elle-même, à s'embraser

Parce que l'énergie de vie trouve toujours un moyen, un chemin...

C'est un compagnon

Que l'on laisse mourir doucement

Dans le ronflement de ses crépitements

Oui, on le laisse mourir

Sachant qu'il nous revisitera


Denis G., ce soir, allumer, admirer et alimenter un feu me fait penser à toi... J'espère que, d'où tu te trouves, toi aussi, tu le vois...

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